Les électeurs cellettois
 
A s'en tenir aux lignes générales des votes législatifs durant la 3ème République, Cellettes suit une pente guère éloignée de celle que connaissent bien des communes rurales de sa région : devenu modérément républicain dans les années 1870, l'électorat masculin participe, non sans quelques infidélités, à l'installation de la République radicale avant la Grande guerre, puis s'inscrit majoritairement, et modérément, dans le mouvement de gauche des années 30.
 
A y regarder de plus près, on doit tout de même constater qu'aux élections les plus décisives, les électeurs cellettois n'ont pas toujours fait les choix les plus avancés.
 
1-En 1877, quand se décide l'avenir du régime après le coup de force du 16 juillet de Mac Mahon, les Républicains l'emportent dans le Loir-et-Cher, à Blois et dans le canton de Blois-ouest. Pas à Cellettes où le républicain Dufay est nettement devancé par le bonapartiste Busson-Billault.
 
2-En 1889, les républicains affrontent, outre leurs adversaires monarchistes, les boulangistes issus, pour certains, de leurs rangs. Le royaliste Roger obtient la majorité absolue à Cellettes au premier tour, même si le républicain modéré Deniau finit par l'emporter grâce à une mobilisation électorale remarquable (moins de 18 % d'abstentions).
 
3-En 1902, dreyfusards et anti-cléricaux livrent un combat décisif aux conservateurs : ils l'emportent dès le 1er tour dans la 1ère circonscription de Blois, mais à Cellettes,  le radical anti-clérical, Eusèbe Gauvin, soutenu par la Ligue des Droits de l'Homme, est largement devancé par le Maire de Blois, Jules Brisson, qui porte tous les espoirs de droite. Le fait que Brisson soit le Conseiller Général du canton et, surtout, le dirigeant d'un puissant syndicat viticole a évidemment sa part dans ce vote. Il n'empêche : dans un scrutin politique aussi fort, la majorité des électeurs cellettois a préféré l'alliance des conservateurs et des "réactionnaires" à la solution radicale autour de Waldeck Rousseau.
 
4-On n'insistera pas sur l'importance du vote de 1936 , sinon pour signaler qu'avec 89,2 % de participation au second tour à Cellettes,  on frôle les records de mobilisation électorale de 1924 et 1928 (plus de 91 %) !
 
Et cette fois, les Cellettois sont dans la ligne de la circonscription (56,5 % pour Emile Laurens, radical-socialiste, au second tour, pour 56,4 dans la circonscription entière). Pour trouver une originalité dans le vote cellettois de 1936,  il faudrait la chercher dans le score du communiste Gérard Proust, deux fois plus élevé que dans l'ensemble de la circonscription, Blois comprise. 14 % pour ce "journalier agricole" alors que les candidats communistes précédents plafonnaient à 4 % : faut-il voir, dans ces 37 voix obtenues à Cellettes, l'espoir en des temps nouveaux ou l'angoisse d'une population paupérisée et affaiblie par l'exode rural qui, 1 an plus tôt, avait accordé tant d'importance à un populiste de foires et marchés ?

En 1935 en effet , une élection partielle dans la 1ère circonscription (Blois) avait donné l'occasion à un agitateur paysan de mesurer son audience politique. Le "cas" Dorgères a été longuement étudié par Robert Paxton ("Le temps des chemises vertes", au Seuil) : démagogue de talent, il parvint à séduire, dans un contexte de crise économique, sociale, morale et politique, plus de 40 % de l'électorat, surtout rural. A Cellettes, il était en tête au 1er tour et fit exactement jeu égal au second avec le radical-socialiste Emile Laurens, finalement vainqueur dans la circonscription grâce à une forte mobilisation de l'électorat (plus de 83 % de votants au second tour).
 
Les élections législatives à Cellettes
 
Pour lire le tableau
 
majorité à gauche: rouge (absolue) - rose (relative)
majorité à droite : bleu (absolue) - bleu clair (relative)

(Les contenus des notions de "droite" et de "gauche" sont évidemment différents selon les époques -voir la légende  )
Tableau chiffré des législatives à Cellettes

 

scrutin

Gauche / Droite

Remarques

Elu de la circonscription

tours

Participation

en %

(tours 1 / 2)

1871

liste

 

 

Républicain (Dufay)

1

?

1873

 

 

 

Républicain (Lesguillon)

1

70,4

1876

 

 

 

Républicain (Dufay)

1

82,4

1877

 

 

 

Républicain (Dufay)

1

82,1

1879

 

 

 

Républicain (Deniau)

1

68,1

1881

 

 

 

Républicain (Deniau)

1

69,6

1885

liste

 

 

2ème tour : majorité républicaine

Opportunistes (4 élus/4)

2

85,1 / 78

1889

 

 

 

2ème tour inverse du 1er

Opportuniste (Deniau)

2

81 / 81

1893

 

 

 

Radical (Riu)

2

76,9 / 60

1895

 

 

 

Radical (Gauvin)

2

69,8 / 74,1

1898

 

 

majorité relative à gauche aux 2 tours

Radical (Gauvin)

2

82,8 / 80,5

1902

 

 

 

Radical-socialiste (Gauvin)

1

80,2

1906

 

 

 

 

Radical-socialiste (Treignier)

2

82,9 / 72,2

1910

 

 

 

Radical-socialiste (Treignier)

1

80,7

1914

 

 

 

Radical-socialiste (Treignier)

1

80,3

1919

liste

 

Département : les 4 sièges à droite

Centre-droit et droite

1

69,8

1920

liste

 

forte abstention

Droite

2

53,6 / 49,7

1924

liste

 

département : 3 sièges sur 4 à gauche

Bloc des Gauches (3 élus/4)

1

91,2

1928

 

 

 

Score serré au 2ème tour

Radical-socialiste (Amiot)

2

90,7 / 91,4

1929

 

 

 

Radical-socialiste (Chautemps)

2

77,9 / 61,4

1932

 

 

 

Radical-socialiste (Chautemps)

1

87,5

1935

 

 

 

2ème tour : égalité parfaite

Radical-socialiste (Laurens)

2

75,8 / 83,5

1936

 

 

 

Radical-socialiste (Laurens)

1

87,2 / 89,2

 

L'examen du tableau de synthèse montre bien que la gauche a le plus souvent séduit l'électorat masculin cellettois.
 
Encore faut-il se défier des simplifications. Le mot "gauche" se définit mieux au pluriel qu'au singulier. Pluriel si on évoque les gauches sur la durée: les "opportunistes", qui fondent la République jusqu'au milieu des années 1880, ne se confondent pas avec les "radicaux" qui les contestent et sont eux-mêmes poussés au centre par les "socialistes". Pluriel à chaque époque puisque coexistent, et s'affrontent,  toutes les versions du radicalisme et du socialisme: au "radical-socialiste" Treignier s'oppose le "radical" Gauvin et on voit même se concurrencer, en 1928, cinq nuances du radicalisme!
 
La version cellettoise de la gauche est modérée, radicale-socialiste plutôt que socialiste : quand les deux mouvements présentent leur candidat, les Cellettois boudent le second (7 % contre 44 %  en 1919, 9% contre 32 % en 1928, 8% contre 51 % en 1929, 2 % contre 61 % en 1932, 6 % contre 35 % en 1936). Et on ne parle pas des communistes qui, hors les 14 % de 1936, se tiennent entre 2 et 4 %, ce qui, en terme de voix se compte sur les doigts de deux mains... On retrouvera cette gauche modérée dans les affrontements municipaux.
 
Le vote de droite, dans toutes ses nuances, est globalement minoritaire : sur les 23 élections recensées, partielles comprises, il ne s'impose à Cellettes qu'à 4 reprises (9 si l'on ne tient compte que du 1er tour) pour 13 victoires de gauche (18 si l'on prend en compte les 2èmes tours). Il est vrai que la droite cellettoise originelle, issue, comme ailleurs, de la mouvance monarchiste et de l'héritage bonapartiste, a traîné ce handicap quand la République a définitivement triomphé dans les années 1880. Cataloguée comme "réactionnaire", suivant la nomenclature ministérielle alors en vigueur, elle vote, sans espoir le plus souvent, pour les rares candidats de son bord, régulièrement battus. Mais même la droite républicaine, issue, elle, du parti opportuniste et handicapée par ces alliés encombrants qu'étaient les "châtelains", n'a pas réussi à faire pièce aux modérés de gauche.
On peut apprécier l'importance de la droite, anti-républicaine jusqu'au début des années 1880 puis conservatrice quand la République triompha, à travers quelques épisodes électoraux.
 
Aux élections d'octobre 1885, la liste "conservatrice", largement composée de royalistes, recueille 114 suffrages cellettois (40,3 % des exprimés et 33,9 % des inscrits). En 1889, dans le contexte de la crise boulangiste, le royaliste Maurice Roger obtient, au 1er tour, la majorité absolue avec 145 voix (52,9 % des exprimés et 41,7 % des inscrits), avant de perdre 34 voix au second tour et de se voir devancer par le républicain modéré ("opportuniste") Eugène Deniau, député sortant.
 
Aux élections de 1895 (partielles après la mort du général Riu, député radical élu en 1893) et de 1898, la droite ne trouve pour la représenter qu'un royaliste résolument réactionnaire, le comte de Salaberry, maire de Fossé, : son score n'en est que plus révélateur du dernier carré monarchiste, plus important à Cellettes (26,9 % des exprimés, 22,2 % des inscrits) en 1898 que dans le reste de la circonscription (exprimés :17, 7 %, inscrits : 13,8 %).
 
En 1902, en revanche, le maire de Blois, Jules Brisson, réussit l'amalgame des républicains de droite, auxquels il appartient, et des conservateurs ex-réactionnaires. Dans un face à face avec le radical Gauvin, lui-même républicain modéré, il l'emporte largement à Cellettes (57,1 % des exprimés et 45,6 % des inscrits). Il faut bien sûr tenir compte du facteur personnel : Brisson est très influent chez les viticulteurs cellettois et son positionnement politique est semblable à celui du maire de Cellettes, Pierre Beaudoin ("progressiste", c'est à dire, à cette date, centre-droit). Ajoutons que le radical "beauceron", Eusèbe Gauvin n'est guère apprécié des électeurs vignerons républicains de la commune. Le score de Brisson n'en est pas moins remarquable et témoigne d'un vote de droite bien enraciné.
 
On en a la preuve en 1906 quand le maire de Blois, de nouveau candidat des droites, affronte le radical-socialiste Eugène Treignier. En tête à Cellettes -toujours son poids personnel- il est largement devancé dans la circonscription et préfère retirer sa candidature. Au second tour, le conservateur Papillon, guère pris au sérieux par le milieu politique local et qui n'avait recueilli que des miettes au 1er tour, bénéficie de l'électorat "réactionnaire" laissé orphelin par l'abandon de Brisson. On peut alors mesurer le poids de ce "noyau dur" de la droite conservatrice à Cellettes : 89 voix, soit 35,3 % des suffrages exprimés ( mais seulement 25 % des inscrits).
 
On retrouve ce noyau en 1910 en partie sur le nom de Papillon (mais l'influence personnelle de ce dernier est très faible), en 1914 avec le vote Jules Gaullier (30 % des inscrits) et jusqu'en 1919, juste après la grande guerre où la liste "réactionnaire" recueille encore 22 % des électeurs inscrits. Le poids des châtelains-notables de Cellettes a bien entendu été déterminant mais même après qu'ils ont disparu, subsiste un électorat de la droite "dure", légitimiste, dans la nomenclature de René Rémond.
 
On verra dans l'examen de la question scolaire à Cellettes que ce courant s'est manifesté à plusieurs reprises, en particulier au moment de la laïcisation de l'école de filles, imposée par l'autorité préfectorale.