Les "listes nominatives des
habitants" qui servent de base à cette étude constituent les pièces maîtresses
des opérations de recensement de la population. Tout au long du 19ème siècle et
jusqu'à la guerre 39-45, la France dresse la liste de ses habitants tous les 5
ans, rythme à peine bousculé par les guerres : celle de 1870 retarde l'opération
d'1 an et celle de 14-18 l'annule en 1916 pour la reprendre, en conservant la
période quinquennale, en 1921. On sait tout le bien et tout le mal qu'on peut
dire de ces comptages à date fixe : irremplaçable instrument de mesure
démographique, le recensement prête aussi à toutes les manipulations et dépend
largement du sérieux et du soin des opérateurs locaux.
On pourrait
raisonnablement espérer qu'à l'échelle d'un village où chacun, à commencer par
le maire, connaît tout le monde, le travail serait à l'abri des erreurs les plus
grossières. Tel n'est pas le cas : confusion dans la définition de la résidence
principale, orthographe des patronymes fluctuante, mélange entre prénom d'usage
et prénom d'état-civil, approximation des dates de naissances, maladresses
graphiques, bien des éléments incitent à la prudence dans l'utilisation d'une
source par ailleurs indispensable. Certains recensements sont de qualité, en
particulier quand l'autorité administrative affiche une exigence et que les
opérateurs locaux prennent, en conséquence, le travail à coeur.
D'autres
apparaissent bâclés, celui de 1936 par exemple, le dernier de la IIIème
République : la graphie, maladroite et raturée, y est trop souvent peu lisible,
le rédacteur orthographie mal des noms de famille, inscrit parfois des prénoms
fantaisistes, laisse en blanc des lieux ou des dates de naissances, ce qui rend
le contrôle difficile.
Certes, le recensement de 1936 est un
exemple extrême mais il convient de rester prudent avec tous les autres car
entrent aussi en compte des éléments qui ne doivent rien à la négligence des
opérateurs et tiennent plutôt à l'imprécision des renseignements demandés.
Qu'inscrire, par exemple, dans une colonne "âge", quand une personne, née en
décembre, est recensée en mars ? En l'absence d'une nomenclature officielle, que
retenir en tant que "profession" ? Où arrêter, sans définition claire de
territoire, les hameaux ou lieux-dits ? Mais, en définitive, pour qui veut
observer d'un peu près la population, ils restent la source de
renseignements la plus abordable, à charge pour l'utilisateur de ne pas exiger
d'eux plus qu'ils ne peuvent fournir.
Ci-dessus, la
dernière page de la liste nominative établie au recensement de
1936.
Une
seconde question, non liée au degré de fiabilité des sources, se pose alors :
une fois fournis les chiffres essentiels, n'est-il pas hasardeux et abusif de
vouloir, au-delà, se lancer dans une étude démographique ?
La plupart des outils du démographe ne peuvent guère s'appliquer
utilement qu'à des ensembles cohérents. Pour un groupe humain aussi étroit et
aussi mouvant qu'une population de commune rurale, quel sens peuvent bien avoir
les notions de natalité ou de flux migratoires ? Cette objection raisonnable en
tête, notons toutefois un critère de pertinence : au moins jusqu'à la Grande
Guerre, les communes rurales comme Cellettes restent des communautés
démographiques assez largement autonomes. Bon nombre de naissances "légitimes"
et de décès ordinaires ont lieu au village. Arrivées de nouveaux habitants ou
départs vers d'autres cieux peuvent s'apprécier grossièrement par comparaison
des listes de recensement et même, selon la période, parfois assez
convenablement, grâce aux registres d'entrées-sorties -quand ils ont été
conservés et correctement complétés- que la sourcilleuse et policière
administration enjoint aux maires de tenir.
Sans espérer
serrer de très près nos Cellettois d'hier, il est donc raisonnable de penser les
approcher.
Après une
démographie déclinante dans la seconde moitié du 18ème siècle, d'un
millier d'habitants dans les décennies 1730-40 à guère plus de 900 en fin
de siècle ["paroisses et communes de France", CNRS éditions], le village a pris
des couleurs au cours du demi-siècle suivant : au milieu du 19ème siècle, à
l'aube du Second Empire, Cellettes est, avec plus de 1200 habitants (1240 au
recensement de 1846, 1260 -le maximum- et 1212 à ceux de 1851 et 1856) une des
communes rurales les plus importantes du Val de Loire.
La seconde
moitié du 19ème , en dépit d'un fléchissement sensible au cours de la décennie
1880 (1078 et 1095 habitants aux recensements de 1886 et 1891), marque une
stabilisation de la population autour de 1100 habitants, qui maintient Cellettes
parmi les communes importantes de l'arrondissement.
Perceptible à
Cellettes depuis le milieu du Second Empire, le recul démographique n'apparaît
nettement qu'au recensement de 1906. La guerre 14-18 ne fait qu'accentuer
brutalement le décrochage : de 1901 à 1921, la commune perd 20 % de sa
population. Le creux sera atteint au dernier recensement de la 3ème république,
en 1936 : 872 habitants, avec toutes les réserves faites plus haut sur la
fiabilité de l'opération.
Ce
contexte démographique a bien entendu joué son rôle dans la vie et le
développement du village. Il a gouverné le dynamisme économique local, déterminé
une part des capacités d'investissement dans les domaines à la charge des
communes tels que la voirie et les équipements et bâtiments publics, et sans
doute, plus profondément, favorisé des comportements collectifs de repli ou, à
tout le moins de prudence.
Une délibération
d'août 1907 illustre bien à la fois la prise de conscience des élus quant à
l'essoufflement démographique -et leur résignation qu'un regard actuel
jugerait peu combative... Il s'agit
alors pour le Conseil Municipal d'émettre un voeu tendant à supprimer la deuxième classe de
l'école de garçons. Cette démarche, notons-le, ne répond à aucune demande
officielle. A peine si est évoquée une "remarque" de l'Inspecteur Primaire qui
laisserait "pressentir" la possible "suppression du poste
d'instituteur-adjoint".
Sans nous attarder sur un sujet sur lequel il faudra
revenir, observons -avec un malicieux anachronisme- que ce volontarisme dans les
économies de gestion précède évidemment de loin les comportements liés à l'
"état-providence" ou à la foi dans les "services publics"...
L'air du temps n'est alors pas au "gaspillage", et c'en est un,
pensent "beaucoup" et "même les deux instituteurs", que de
confier moins de 50 élèves à deux maîtres, quand un suffirait. Ancien
instituteur, le Maire, à qui son fils a succédé, fait parler là, en toute bonne
foi un tantinet conservatrice, sa propre expérience. Ajoutons un contexte
scolaire un peu rude à Cellettes depuis que le Préfet a ordonné, 5 années
auparavant, la laïcisation de l'école de filles, et depuis que les partisans des
"soeurs" ont créé une école "libre" -rue de l'Eglise! C'est
sans doute pourquoi défenseurs et adversaires de l'école laïque au sein de
l'Assemblée municipale ont un souci unanime de rigueur, les premiers, pour ne
pas prêter le flanc à l'accusation de gaspillage, les seconds, parce qu'ils
considèrent que l'école gratuite est décidément bien coûteuse.
En
introduisant les débats, le Maire souligne la diminution des effectifs des deux
écoles publiques. On aurait tort, affirme-t-il, d'expliquer le phénomène par un
"manquement à l'obligation scolaire". Nous ajouterons aujourd'hui -mais
il y pense sans doute- : ou même par la concurrence de l'école
"libre" qui n'attire finalement qu'une poignée de familles. Non : la
cause principale tient à la "diminution du nombre des naissances qui, depuis
10 ans, ne fait que s'accentuer et ne paraît pas devoir s'arrêter"
[souligné par nous]. Et de déduire des résultats du recensement de 1906 que
cette baisse d'effectifs se prolongera 8 ou 10 ans.
En réalité, le nombre de
naissances diminue sensiblement à Cellettes depuis les années 1880 : en moyenne
décennale, il est de 20 par an quand on en comptait plus de 25 précédemment.
Chute de la natalité cellettoise, donc, qui a "comme conséquence",
ajoute le Maire, "la diminution de la population". Le Maire, ancien
instituteur-secrétaire de mairie et maître d'œuvre des opérations de
recensement, connaît bien l'état-civil de sa commune mais, dans la délibération
tout au moins, ne pousse pas plus loin sa réflexion.
Car
l'explication de ce déclin démographique ne réside pas dans une fécondité
particulièrement déficiente des Cellettoises en âge d'avoir des enfants mais
plutôt dans leur nombre, en baisse continue depuis le
milieu du 19ème siècle (tableau A, colonne 4
). Cette tranche d'âge 20-39 ans, qui s'était
maintenue à 15 % de la population totale sous le Second Empire, entre 1851 et
1872, passe à 12,6 % en 1901 et à 11,8 % en 1926. Encore mieux : elle ne
cesse de diminuer depuis 1851 à l'intérieur même de l'ensemble féminin
(Tableau A, colonne 5). Le nombre d'hommes évoluant à peu près de la
même manière, il est naturel que les naissances aient été en recul à Cellettes :
moins de géniteurs potentiels donnent des générations moins nombreuses dans un
contexte de stagnation du taux de natalité, général lui.
Autre marque : le creux
visible sur la pyramide de 1851
entre 10-15 ans et 34 ans peut
certes d'abord se rattacher aux séquelles de la période Révolution-1er Empire, à
cette "fracture" démographique dont
parle Marcel Lachiver [ ] qui voit s'affaisser la descendance par femme. Mais ce
creux se répète peu ou prou sur les pyramides suivantes
(1872, 1901, 1926)
: ainsi, quand la population
totale diminue de 18,6 % entre 1872 et 1926, le nombre de femmes de 20 à 39 ans
chute de 36,6 %. On ne peut plus accuser là exclusivement un
comportement malthusien des couples cellettois.
L' étranglement des tranches fécondes ne peut donc
qu'être mis au compte des mouvements migratoires
.
Ce que n'évoquent ni le Maire, ni son Conseil unanime, dans
leurs réflexions sur la diminution des effectifs scolaires, et donc sur la
nécessité de supprimer un poste d'instituteur, c'est l'exode rural,
sourdement à l'oeuvre depuis le Second Empire.
Les sources disponibles n'aident guère à apprécier
les migrations à la petite échelle d'une commune rurale. Le recensement de 1901,
par exemple, ne comporte pas de rubrique "lieu de naissance",
renseignement qu'il faut aller chercher sur les recensements postérieurs et qui
n'est par conséquent disponible que pour les Cellettois au long cours. La
quantification du phénomène ne peut donc qu'être partielle à Cellettes. Elle
n'en est pas moins éclairante : sur 199 individus recensés en 1872 et nés au
cours de la décennie 1862-72, à Cellettes ou dans un étroit rayon de 10 km, 47
seulement habitent toujours la commune en 1901 : moins du quart de la
tranche d'âge ! En 1911, ils ne sont plus que 31... La même recherche effectuée à partir du
recensement de 1901 pour les individus nés dans la décennie 1891-1901 fournit
125 noms ; 33 seulement figurent encore en 1921, c'est à dire guère plus du
quart...
Dit autrement, cela signifie que 3
Cellettois sur 4 ont quitté la commune avant 40 ans. Même en admettant
qu'un certain nombre de ces "émigrés" se soient installés dans des villages
voisins et en tenant compte des éventuels décès, il faut convenir que la commune
a très tôt perdu une part importante de sa jeunesse.
Le mouvement inverse est encore
plus difficile à chiffrer. Retenons tout de même -tout en gardant à l'esprit
que le lieu de naissance n'est pas connu pour tous- que 85 personnes
d'origine extra-départementale, arrivées au cours des 3 décennies précédentes,
étaient présentes à Cellettes en 1901. Mais 35 seulement avaient moins de 40
ans. Le même critère, avec des données plus complètes, fournit 176 noms en 1926,
pour la plupart (157) apparus après 1901 ; 84 des individus identifiés
avaient moins de 40 ans. Encore faut-il ajouter que parmi ces nouveaux "jeunes"
Cellettois, figurent les nombreux nourrissons placés chez des "nourrices"
cellettoises et qui, pour la plupart, quittent la commune leurs 13 ans atteints.
Le retour au tableau A (colonne 3) nous confirme d'ailleurs que
les départs n'ont pas été compensés par autant d'arrivées puisque la
tranche 20-39 ans accuse une constante diminution entre 1872 et 1926,
de 29,1 à 22,8 % de la population totale. Bref, même en tenant compte du degré
d'imprécision de tels calculs, le
solde migratoire a été nettement négatif.
Autre angle de vue pour
apprécier l'exode rural, les évolutions différenciées du
bourg et des "écarts" d'une
part, celles des professions d'autre part.
Route
Répartition des
habitants aux recensements de 1872, 1901, 1926.
Route
Nationale
Rue de
l’Eglise
Rue de
Seur
Rue du
Parc
Bout du
Pont (1)
Total
Bourg
hameaux
1872
227
109
23
29
146
534
357
1901
220
83
17
32
115
467 (-12,5%)
460 (+15%)
1926
156
75
32
21
95
379 (-18,8%)
311 (-32,4%)
Bilan
-31,3 %
-31,2 %
-34,9 %
-29 %
-13 %
(1) Le Bout du Pont
inclut les rues de Chitenay et de Bracieux
La population agglomérée au bourg diminue à peu
près constamment, et fortement, entre 1872 et 1926 (de 534 à 379
habitants) pendant que celle des "écarts" (hameaux, villas et châteaux) passe
par un pic en 1901 (+ 15 % par rapport à 1872) avant de fléchir de 23 % jusqu'en
1926.
Mais on constate des variations plus brutales si l'on ne
prend en compte que les hameaux (tableau ci-contre), identifiés
ainsi sur les documents du recensement, afin d'éliminer les effets dus au choix
de leur résidence principale par les "châtelains", et de ne prendre en compte
que la population strictement agricole
.
Ainsi le bourg, plus artisan et commerçant, a
décroché en premier, dès avant le début du XXème siècle (-12,5 %), quand les
hameaux "paysans" continuaient l'élan rural du 19ème siècle (+28,8 %), en
dépit des crises agricoles. La diminution du premier XXème siècle est sévère au
bourg (-18,8 %), brutale dans les hameaux (-32,4 %) : l'exode agricole a
commencé à vider les champs et les
vignes.
1872
1872
1901
1926
bilan
L’Angevinière
21
22
18
-
L’Archerie
5
15
26
+
L’Ardoise
5
9
3
-
Les Aulnaies
20
23
29
+
Aulnières
12
12
15
+
La Bodice
15
18
7
-
La Boissière
51
63
29
-
La Bruyère
8
15
12
+
La Cerfilière
25
11
18
-
Clénord
36
35
21
-
Le Petit Conon
15
13
-
La Gaudronnière
17
15
15
-
La Hutterie
39
33
16
-
Les Laudières
10
11
2
-
Lezeau
19
16
13
-
La Marouelle
7
12
15
+
Ornay
16
16
11
-
La Picoisière
38
49
31
-
La Renaudière
21
7
15
-
La Rôtisserie
7
8
La Varenne
21
30
36
+
Vaugelé
63
57
57
-
TOTAL
357
460
311
- 46
%
+28,8%
-32,4%
-12,9 %
Les mêmes phénomènes se lisent dans les données sur la
population active (tableau ci-dessous)
: celle-ci stagne de 1872 à 1901 puis chute d'un cinquième en 25
ans.
Le monde artisanal et commerçant, patrons et employés
confondus, se rétracte dès la fin du 19ème siècle, n'offrant alors plus de
débouchés aux jeunes sortis de l'école. Le monde paysan, entre
"propriétaires exploitants" et "journaliersagricoles" maintient largement son poids démographique jusqu'en 1901
(de 59 à 64 % de la population active) puis décline jusqu'aux années 30, non
sans conserver une place prépondérante dans le village (61 % de la population
active, en 1926). Mais le nombre d'emplois qu'il offre est désormais limité à
une quarantaine de journaliers ou ouvriers agricoles (données du
recensement 1926) au-delà de la quinzaine occupés par les fils des
propriétaires. C'est évidemment insuffisant pour fixer une population agricole
nombreuse.
Population
Population
Active (1)
Paysans
Artisans
Commerçants
Domestiques
Autres
1872
362
213
96
38
15
1901
356
224
94
20
18
1926
287
175
86
14
12
bilan
- 75
(- 20,7 %)
- 38
(- 17,8 %)
- 10
(- 10,4 %)
- 24
- 3
(1)
La colonne "profession exercée" a été complétée très irrégulièrement pour les
femmes selon les recensements; le tableau ne prend donc en compte que les
professions masculines inscrites de manière plus
fiable.
La
conclusion vers laquelle convergent toutes ces données n'est pas surprenante. A
Cellettes comme dans tant d'autres communes rurales, l'exode rural, puis
agricole, conjugué à une faible natalité, a très tôt interrompu le dynamisme du
premier XIXème siècle.
Prépondérante à Cellettes, la viticulture,
rentable et pourvoyeuse d'emplois au XIXème siècle, ne trouve pas de substitut
quand la crise viticole rétrécit ses débouchés. Sous le Second Empire, la vigne
occupait près de 60 % du territoire agricole. Dans les années 1930, ce
pourcentage passe à guère plus de 20 %. Comme, dans le même temps, céréales et
élevage conservent la même part du sol, c'est l'arboriculture qui remplace le
vignoble, c'est à dire une activité minimaliste en terme d'emplois.
Ailleurs, comme à Vineuil,
les cultures maraîchères peuvent prendre le relais. A Cellettes, ce ne sera pas
le cas : les "jardiniers" désignent plus ceux qui entretiennent les parcs des
châtelains que les ouvriers maraîchers.
Le déclin démographique évoqué ci-dessus se
traduit naturellement par le vieillissement de la population.
Outre la faiblesse
des 20-39 ans, les trois pyramides de la troisième
république (1872, 1901, 1926) montrent le net resserrement de leur base
jeune et le gonflement de leur sommet, par ailleurs allongé : davantage
d'octogénaires (26 en 1901, 16 en 1926) couronnent la montée des plus de 60 ans.
Très minoritaires au milieu du 19ème siècle (1 Cellettois sur 15), ces derniers
ne cessent d'accroître leur poids dans la population totale (près de 1 sur 5 en
1926) (tableau A, colonnes 6 et 7
).
Dès la dernière décennie du
19ème siècle, les enterrements l'emportent sur les baptêmes (en moyenne
décennale, 22 décès par an pour 20 naissances). Cinq fois plus nombreux en 1851,
les moins de 20 ans dépassent à peine les plus de 60 ans en 1926 (tableau A, colonne 7)
. Encore faut-il inclure les nourrissons d'origine non
cellettoise, qui masquent en partie le recul de la tranche jeune. Sur 260
enfants de 13 ans et moins, 22 (plus de 8 %) sont placés chez des nourrices
cellettoises selon le recensement de 1872. A celui de 1901, la part des
nourrissons passe à 10 % et le mouvement s'amplifie : 18 % en 1911 et 24 % en
1921, un enfant sur quatre !, avant de retomber en 1926 (10 %). En augmentant le
salaire des nourrices "sèches", la loi de 1904 sur l'enfance assistée a favorisé
ce qui est devenu une véritable activité pour des femmes sans autres ressources.
Du coup, certaines en "élèvent" 5 ou 6 en même temps. Mais cet apport
juvénile reste sans lendemains : très rares sont celles et ceux qui se fixent au
village. Ce n'est donc pas cette "immigration" qui a pu redonner de la vigueur à
la population.
Observons cependant que le vieillissement est en partie
freiné par les néo-Cellettois. Si on compare le groupe "néo" (absents au
recensement précédent) au groupe "anciens" (présents au recensement
précédent
), on constate (tableau ci-contre)
qu'en 1911, comme en 1921 et en 1926, les néo-Cellettois ont un profil nettement
plus jeune que les autochtones. L'apport de sang jeune est particulièrement
appréciable dans les tranches fécondes (21 à 40 ans), les plus cruellement
affectées par l'exode rural : en 1911, par exemple, sur les 107 personnes de 21
à 30 ans, 61 sont arrivées au cours de la décennie précédente -et on retrouve un
rapport semblable en 1921 et en 1926. Le tableau confirme la nette prépondérance
des moins de 40 ans chez les nouveaux arrivants, originaires pour le plus grand
nombre du département ou du reste de la France. Le village, quoique affaibli,
possède donc encore un potentiel humain suffisant pour attirer et retenir
quelques jeunes.
11-20
Part de chaque
tranche d’âge dans les plus de 10 ans
11-20
ans
21-30
ans
31-40
ans
41-50
ans
51-60
ans
61-70
ans
71-80
ans
81ans
et +
1911 – néo
17,9
17,9
20,9
15
12
10,9
3,2
1,8
1911
– anciens
16,6
9
9,2
17,8
15,8
19
9,4
2,8
1921 – néo
24,5
18,6
19,3
11,8
10,4
8,8
4,6
2
1921
– anciens
15,3
8,1
8,5
15,7
22,5
16,4
11,1
2,2
1926 – néo
18,6
25
14,7
12,8
12,2
9,9
4,8
1,9
1926
– anciens
14,4
7,9
10,4
14,2
19,2
18,2
8,1
1,7
On voit donc que les moyennes d'âges élevées déjà
observées dans la représentation municipale n'étaient pas à porter au seul
passif d'un patriarcat conservateur : il traduisait somme toute naturellement,
en termes électoraux, le double affaiblissement démographique du village, par le
vieillissement et l'exode rural.
Finalement, la pyramide de 1926 , étriquée à la base et aux
flancs, traduit à merveille par sa maigreur cette démographie étouffée, dans une
commune où, désormais, 1 habitant sur 2 a plus de 40 ans !
Dans ce lent déclin, il faut maintenant
examiner les effets de la terrible période 14-18.
Comme
on doit s'y attendre, ils l'accélèrent : la décennie 1901-1911 avait enregistré
une diminution d'habitants de 9,3 %, celle de 1911-1921 en connaît une de 14,3
%. La surmortalité due à la Guerre se lit d'abord sur le monument aux morts. 39
noms y sont inscrits chronologiquement : même si plus de la moitié de ces
"enfants de la commune" avaient quitté le village avant 1911, il reste que la
perte due à la guerre est considérable.
Sur les 81 jeunes hommes
de 15 à 30 ans recensés en 1911, 17, soit 21 % (1 sur 5 !) ont été tués entre
1914 et 1918. En laissant ici de côté les effets de cette terrible perte sur les
mentalités, on conçoit tout ce qu'elle a enlevé au dynamisme économique de la
commune, mais aussi ce qu'elle a ajouté au déséquilibre hommes-femmes dans les
tranches jeunes (20-30 ans), déjà important en 1911. Alors qu'en 1901 on compte
encore à peu près 1 homme pour 1 femme de 20 à 30 ans, le ratio grimpe à 1,42 en
1911 et 1,46 en 1921. Voilà un déficit qui ne facilite pas la constitution de
nombreuses nouvelles familles cellettoises.
La période de guerre
accentue également la dénatalité : aux 192 enfants, de 10 ans et moins, recensés
en 1911, répondent chichement les 122 recensés en 1921. En ce qui concerne les
naissances strictement cellettoises, l'évolution est à peu près la même de 1911
à 1921 : 101 pour la première décennie, 65 pour la seconde, avec, on s'en doute,
une chute conséquente pour les années de guerre (13 naissances en 4 ans -de 1916
à 1919).
Le bilan migratoire est également tiré vers le
bas par la guerre.
Une petite moitié des Cellettois
recensés en 1911 l'étaient déjà en 1901. Plus de 500 nouveaux habitants étaient
donc apparus en 10 ans ; si l'on retranche les nouveaux-nés cellettois de la
décennie, on obtient environ 340 arrivants. Le mouvement inverse donnant, décès
défalqués, environ 420 départs, le déficit migratoire a donc été modéré mais
conséquent.
La décennie suivante, celle de la Grande Guerre,
poursuit à peu près le même chemin avec une pente plus soutenue : moins de
nouveaux (un peu plus de 300, déduction faite des naissances cellettoises), plus
de départs (plus de 400, déduction faite des décès), et donc déficit migratoire
un peu accentué.
Les terribles années de guerre n'ont donc, au
total, fait que renforcer des tendances déjà à l'oeuvre.
Avec une population inférieure à 900 habitants, le village s'est
encore un peu affaibli : moins d'enfants d'âge scolaire (20 % en 1921 contre 24
% en 1911), plus de personnes âgées (22,3 % de plus de 60 ans en 1921 contre
21,6 % en 1911), moins d'artisans (47 contre 69), de commerçants (13 contre 18)
et d'employés (14 contre 21). Le nombre de cultivateurs étant resté stable (107
contre 106), leur poids s'est renforcé dans la population active (62 % contre 58
%) et le caractère rural de la commune s'est accentué.
A une
époque où la France doit reconstruire ses régions dévastées et digérer une
victoire dont elle sort meurtrie, le village paraît peu armé pour joindre son
énergie à l'effort commun. D'ailleurs, quand la commune est sollicitée,
avec celles des deux cantons de Blois, pour "adopter" le canton de
Fismes dans les "régions dévastées", le Conseil Municipal refuse
unanimement son concours, en arguant que ce serait "un effort
considérable" auquel elle "ne pourrait faire face". Il écarte même
toute souscription publique, la pressentant infructueuse: le public "a déjà
donné précédemment à de nombreuses oeuvres" et il est "surchargé
d'impôts". L'effort de la Commune se bornera donc au versement d'une
subvention unique de 500 Francs (délibération du 24 février 1921).
Comme pour souligner les
difficultés des lendemains de guerre, le feu d'artifice de la victoire, au 14
juillet 1919, tourne à la tragédie : l'explosion de fusées provoque la mort de
deux enfants et des blessures sur plusieurs personnes. Il faudra plusieurs
années à la municipalité, alliée à toutes celles ayant connu, cette nuit-là, une
tragédie comparable, pour obtenir un arrêt du Conseil d'Etat l'exonérant de
toute faute dans l'utilisation des "pétards de Clémenceau".
De l'évolution
démographique difficile décrite plus haut, on pourrait tirer l'image d'un
village de plus en plus replié sur lui-même. L'examen des origines des
Cellettois peut-il corriger cette impression
?
Origine des Cellettois à chaque recensement
Origine des Cellettois à chaque
recensement
Origine
1872
1901
1911
1921
1926
Cellettes
557
49,8 %
390
49,1 %
375
36,2 %
300
33,9 %
301
33,7 %
Proche
100
8,9 %
84
10,6 %
129
12,4 %
124
14 %
98
11 %
Limitrophe
153
13,7 %
123
15,5 %
180
17,4%
148
16,7 %
130
14,6 %
Sous-total
810
72,4
%
597
75,2
%
684
66%
572
64,6 %
529
59,3
%
département
164
14,7 %
112
14,1 %
203
19,6%
164
18,5 %
167
18,7 %
Hors départ.
133
11,9 %
81
10,2 %
144
13,9%
145
16,4 %
172
19,3 %
(dont Paris ou Seine)
28
2,5
%
22
2,5
%
66
6,4%
48
5,4 %
65
7,3
%
Etranger
11
1 %
4
0,5 %
6
0,6%
5
0,6 %
24
2,7 %
Sous-total
308
27,5
%
197
24,8
%
353
34%
314
35,4 %
363
40,7
%
Total origine
1118
794
1037
886
892
Total
habitants recensés
1121
1144
1037
889
902
La
première colonne répertorie les lieux de naissance des personnes
recensées: -"proche" indique une commune située dans un rayon de 10
km; -"limitrophe" désigne les 7 communes qui entourent
Cellettes. Le lieu de naissance ne
figure pas sur le recensement de 1901: il n'a été déterminé pour ce relevé
qu'avec les recensements précédents ou suivants, d'où la forte différence dans
cette colonne entre les cellules "total origine" et "total habitants
recensés".
En 1872, près des trois-quarts (72,4 %) des
habitants étaient originaires de la commune ou d'une commune très proche, et la
moitié née à Cellettes même. Cette part est identique (et même
légèrement supérieure : 75,2 %) en 1901. La population se forme, en quelque
sorte, sur place, les apports extérieurs à la commune provenant, d'ailleurs,
pour l'essentiel, du Loir-et-Cher : en 1872 (87,1 %) comme en 1901 (89,3 %), 9
Cellettois sur 10 ont une origine départementale.
La diminution de
ce dernier pourcentage aux recensements suivants (de 85, 6 % en 1911 à 78 % en
1926) indique bel et bien une ouverture, même modeste, du village, due surtout à
l' arrivée de nouveaux résidents issus de la région parisienne. De 2,5 % de la
population communale en 1901, pourcentage identique à celui de 1872, les
"Parisiens" passent à 7,3 % en 1926. L'apport n'est pas considérable, et sans
doute insuffisant pour influencer la vie communale. Il n'en témoigne pas moins
d'un timide début de brassage.
Un Cellettois sur deux
était né dans la commune en 1872, un sur trois seulement en 1926, voilà
qui montre une mobilité accrue des personnes et, sinon un éclatement, du moins
un élargissement sensible du cadre villageois.
Autre signe
d'ouverture, les mariages.
Les
unions entre Cellettois d'origine ne cessent de diminuer de 1872 à 1921 : plus
d'un mariage sur trois était célébré entre jeunes du village au début de la
IIIème République, un sur quatre seulement en 1921. (tableau
ci-contre)
Le phénomène se vérifie sur
toute la durée du XIXème siècle si on compare les conjoints nés dans la première
moitié (1801 à 1850) à ceux de la seconde moitié (1851 à 1900). Un gros tiers
des premiers (35 %) et un petit quart des seconds (23 %) étaient originaires de
la commune. (tableau ci-dessous
)
Dans le premier cas, 5 conjoints sur 10 étaient allés
chercher leur moitié hors du village, dans le second, sept sur dix avaient
accompli la même démarche. Bien sûr, jeunes filles et, surtout, jeunes
gens n'allaient pas bien loin : les villages alentour ou, au plus, le
département, faisaient leur bonheur, mais ainsi s'élargissait le cadre de la
communauté. En même temps que, sous l'effet de l'exode rural, la commune se
vidait lentement et accentuait sa tendance au vieillissement, elle puisait
ailleurs une part grandissante de sa population.
Moins nombreux, plus
âgés, les Cellettois étaient devenus un peu moins
autochtones.
Part des unions cellettoises sur l’ensemble des unions
Part des unions cellettoises sur
l’ensemble des unions
Recensement
Conjoints
cellettois
Tous
conjoints
%
1872
254
720
35,3 %
1901
208
677
30,7 %
1911
169
613
27,6 %
1921
134
554
24,2 %
1926
137
538
25,5 %
1801-1850
1801-1850
1851-1900
Hommes
Femmes
ensemble
Hommes
Femmes
ensemble
recensés
306
300
606
351
404
755
Nés dans
le départ.
259(84,6 %)
261 (87 %)
520(85,8 %)
28180 %
31377,5 %
594(78,7 %)
1
Conjoint
proche
182(70,3 %)
184 (70,5 %)
366(70,4 %)
15755,9 %
18960,4 %
346(58,2 %)
2
Conjoint
départ.
245(94,6 %)
229 (87,7 %)
474(91,1 %)
241 85,8 %
27788,5 %
518(87,2 %)
3
Nés dans
commune
122(39,9 %)
93(31 %)
215(35,5 %)
9226,2 %
8320,5 %
175(23,2 %)
4
Conjoint
commune
48(39,3 %)
48(51,6 %)
96(44,6 %)
2729,3 %
30 36,1 %
57(32,6 %)
5
Pour lire le
tableau
"Recensés": il s'agit
des personnes recensées à Cellettes ayant eu un conjoint
identifié "Conjoint proche": personne ayant eu un conjoint
né dans un rayon de 10 km autour de Cellettes "Conjoint
départ.": personne ayant eu un conjoint né dans le
département "Conjoint commune": personne née à Cellettes
ayant eu un conjoint né à Cellettes
Par exemple, ligne
5: 39,3 % des hommes nés dans la commune entre 1801 et 1850 ont eu une
épouse née dans la commune; ou encore, ligne 3: 88,5 % des
femmes nées dans le département entre 1851 et 1900 ont eu un conjoint né dans le
département.